Comment calculer le taux d’inflation au Maroc ?

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Le Maroc vient d’enregistrer, pour l’exercice 2019, le taux d’inflation le plus faible de son histoire, c’est-à-dire depuis que nous avons commencé à mesurer cette variable, c’est-à-dire depuis 1960 ! Selon le HCP, en effet, la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) n’a pas dépassé une moyenne nationale de 0,2 % pour l’ensemble de 2019. Ce changement de l’IPC, que l’on peut presque assimiler à une stagnation, est le résultat d’une baisse de 0,5 % de l’indice des produits alimentaires et d’une hausse de 0,9 % de l’indice des produits non alimentaires.

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Inflation IPC au Maroc Les ménages marocains, quant à eux, ont une idée complètement différente de l’évolution des prix. Dans leur très grande majorité, ils considèrent que les prix des denrées alimentaires ont au contraire augmenté au cours des douze derniers mois (voir l’enquête de conjoncture auprès des ménages, publiée par HCP le 20 janvier). 2020).

Cet écart entre l’inflation mesurée et l’inflation perçue est toutefois un phénomène que l’on peut observer presque partout dans le monde. Sur l’un d’une part, parce que l’inflation au niveau individuel, pour des raisons liées aux habitudes de consommation individuelles, chevauche rarement celle mesurée au niveau national et, d’autre part, parce que les ménages, en général, se souviennent plus facilement des hausses de prix que des baisses.

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Quoi qu’il en soit, avec une hausse de 0,2 %, l’inflation au Maroc, mesurée par l’IPC, est l’une des plus faibles du monde, et probablement la plus faible en 2019, si l’on met la Grèce de côté.

En réalité, le faible taux d’inflation au Maroc n’est pas un phénomène véritablement nouveau. Sur l’ensemble de la période 1960-2019, en fait, l’inflation au Maroc n’a pas dépassé une moyenne de 4,2 % par an. Et entre la première année (1960) et la dernière année (2019) de calcul de l’inflation, l’indice a chuté de 94% ! Dans les années 1960, il y a même eu deux années consécutives de déflation : en 1966 et 1967 (-1 % et -0,75 % respectivement). Ainsi, au cours de la décennie 1960-1969, l’inflation moyenne était de 2,5 % par an, alors qu’en Turquie, par exemple, la moyenne annuelle était de 5,8 % et en France, 4 % sur la même période. Même au cours des années 1970, caractérisées par la crise pétrolière qui a touché tous les pays qui ne produisaient pas cette énergie, l’inflation au Maroc était en moyenne de 7,8 % par an, contre une moyenne de 27 % par an en Turquie et près de 9 % en France.

Une inflation moyenne de 32,3 % par an en Turquie sur la période 1960-2017

Mais c’est surtout depuis la fin du 20e siècle et le début du XXIe siècle que l’inflation au Maroc a été ramenée à des niveaux moyens extrêmement bas : 1,9 % par an au cours des années 2000 et 1,2 % par an au cours de la décennie 2010.

Cependant, cette évolution de l’indice des prix sur six décennies n’est pas incontestable si l’on considère le comportement du principal agrégat de l’économie, le PIB, sur la même période. Entre 1960 et 2017, le PIB actuel du Maroc a été multiplié par 53,8, passant d’un peu plus de 2 milliards de dollars à 109,7 milliards de dollars entre les deux dates, tandis que celui de la Turquie, sur la même période, multipliés par près de 61, atteignant 851,5 milliards de dollars en 2017 au lieu de 14 milliards de dollars en 1960. Et quel que soit l’indicateur considéré (PIB actuel, PIB réel, PIB en parité de pouvoir d’achat, etc.), l’écart entre les taux de croissance des deux économies est important. Cependant, la Turquie a connu une inflation moyenne de 32,3 % par an sur l’ensemble de la période 1960-2017, contre seulement 4,2 % pour le Maroc. Nous nous demandons donc si, comme le répète le dominant Doxa dans ses rapports, études ou déclarations, l’inflation est vraiment « mauvaise » pour la croissance économique.

Le problème est que, hormis les positions idéologiques (la gauche est généralement favorable à une augmentation de l’inflation, tandis que la droite la combat vigoureusement), il n’y a pas de réponse claire à cette question. Particulièrement dans le contexte actuel, marqué par l’ouverture des économies, la mondialisation des échanges, la transformation effrénée de la nature même du travail, tous favorisés par le développement accéléré de nouvelles informations technologies. Pour que la corrélation négative ou positive entre l’inflation et la croissance n’apparaisse pas ou n’apparaisse plus. L’exemple typique de cette situation est celui de l’Europe où la BCE essaie désespérément depuis des années d’augmenter l’inflation jusqu’à son niveau cible (2 %), en injectant des prêts à un taux d’intérêt presque nul, mais ne parvient pas à le faire.

En France par exemple, l’inflation en 2019 était de 1,1 % selon l’Insee et la croissance économique de 1,3 %. Dans la zone euro, la croissance du PIB serait de 1,1 % et l’inflation de 1,3 %. Malgré la politique monétaire accommodante de la BCE, l’inflation… ne réagit pas !

La mondialisation fausse-t-elle les règles classiques de l’économie ?

Il en va de même pour les États-Unis où, malgré le plein emploi (le taux de chômage est inférieur à 3 %), la poursuite de la politique d’ « assouplissement quantitatif «, l’inflation n’est pas vraiment en hausse.

En 2019, il se serait stabilisé à 1,8 % ! Cependant, selon une certaine théorie économique (voir la courbe de Phillips), en situation de plein emploi, les salaires augmentent, et les entreprises sont donc obligées d’ajuster leurs prix à la hausse afin de préserver leurs marges, ce qui entraîne une hausse de l’inflation.

Tout semble logique dans cette construction théorique, sauf que la réalité, aujourd’hui plus qu’hier, ne s’y conforme pas, ne la valide pas. Pourquoi ? Peut-être devrions-nous chercher l’explication dans la mondialisation et l’interdépendance croissante des économies, phénomènes qui, comme nous le savons maintenant, ne font pas que générer des progrès.

En raison de la concurrence féroce qui les oppose, les entreprises préfèrent souvent proposer des emplois précaires plutôt que d’augmenter les salaires et, en fin de compte, les prix de leurs produits ou services.

Dans le cas du Maroc, il suffit de regarder le marché du travail pour faire le point sur cette situation. Au cours des dix dernières années, le chômage a stagné autour de 10 % de la population active ; le taux d’emploi, un indicateur encore plus significatif que le le taux de chômage est en baisse constante d’année en année pour atteindre environ 41,7 % en 2018. Près de 16 % des emplois ne sont pas non rémunérés ; moins de la moitié (48,8 %) de la population active employée a un emploi, près de 60 % de ces employés n’ont pas de contrat qui formalise leur relation avec l’employeur, 7,1 % ont un contrat verbal, 8 % un contrat à durée déterminée et environ un quart (26 %) des employés avoir une couverture médicale liée à l’emploi !

Si ce n’est pas de la précarité, qu’est-ce que ce serait ? La baisse du rythme de croissance de la consommation des ménages au Maroc n’indique-t-elle pas que les revenus augmentent faiblement ? Dans ces conditions, il n’est ni surprenant ni surprenant que l’inflation soit à des niveaux extrêmement bas…

  • Oujda et Fès : les deux extrêmes de la CIP

L’indice des prix des produits alimentaires a chuté de 0,5 % sur l’année 2019, mais cette baisse aurait pu être beaucoup plus importante sans la forte hausse ( 15,1 %) de l’indice des prix des boissons alcoolisées et du tabac. En effet, le HCP indique dans son enquête que l’indice des prix des aliments et des boissons non alcoolisées a enregistré une évolution négative de 1,3 %. En revanche, l’indice des prix des produits non alimentaires, avec une augmentation moyenne de 0,9 % sur l’année, a enregistré des évolutions contrastées selon la variété des produits et services, mais sans croissance négative. Ainsi, l’indice des prix des transports a stagné, l’indice de la communication a légèrement augmenté de 0,3 %, tandis que l’éducation, comme toujours, a vu son indice augmenter très fortement de 3,1 %.

Sur le plan géographique, l’inflation la plus élevée (relativement bien entendu) a été enregistrée à Fès ( 1,2 %). Ailleurs, cela va d’une baisse à Oujda (-0,3 %) à une légère augmentation à Casablanca ( 0,7 %), en passant par une stagnation à Agadir et Marrakech (0 %).

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