C’est quoi le tombeau ?

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Depuis 2010, le site de la Tombe des Rois est fermé au public. Ce monument, datant du premier siècle après JC, et situé à Jérusalem-Est, est ce que l’on appelle un « domaine national français ». En d’autres termes, le site appartient à la France. Sur son portail, les inscriptions sont en français, et le drapeau tricolore y est visible. Pendant une dizaine d’années, l’État propriétaire du lieu l’avait fermé pour rénovation. Le portail devait rouvrir ses portes à partir du 27 juin 2019. Finalement, le site a été rapidement fermé.

Dans un bref communiqué, le Consulat général de France à Jérusalem a justifié sa décision comme suit : « Nous déplorons les incidents violents survenus aujourd’hui à l’entrée du site, au cours desquels des agents du Consulat général de France à Jérusalem ont été attaqués. Nous voulons que le climat nécessaire à l’organisation de visites en petits groupes, selon les modalités définies par le Consulat général à Jérusalem, puisse être mis en place dès possible et que ce site, comme c’est le cas pour les autres domaines nationaux français à Jérusalem, reste accessible à un public varié. En attendant, nous regrettons de devoir suspendre les visites prévues. »

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Cette fermeture immédiate a provoqué une réaction. Si le consulat ne l’a pas dit, ces « incidents » semblent être dus à un groupe de juifs ultra-orthodoxes venus prier. Plusieurs médias ont repris l’affaire, comme Le Monde Juif.info, qui titrait le 27 juin, de façon légèrement nuancée, « INFO ALERTE : la France interdit à nouveau les visites aux Juifs au Tombeau des Rois à Jérusalem ». Dans les médias français et israéliens, la décision a fait couler de l’encre et donné lieu à certains débats.

L’archéologie en Terre Sainte et le redressement politique

Les vestiges des événements passés sont loin d’être un simple problème culturel en Israël et en Palestine. Ils sont en effet dotés d’une dimension politique, en ce sens qu’ils témoignent de l’histoire des lieux situés aujourd’hui sur ce territoire en proie à des conflits et contestations. Le Jerusalem Post a consacré un article à l’association Emek Shaveh, une association qui lutte contre la politisation de l’archéologie en Israël et en Palestine. « La bataille entre idéologues de droite et de gauche est évidente dans les sites archéologiques de Jérusalem-Est et de Cisjordanie, où les découvertes sont régulièrement montrées dans le monde comme preuve de la souveraineté d’Israël sur la terre natale des Juifs, ou comme preuve d’occupation », a déclaré le représentant du association.

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L’article illustre cette opposition qui se joue dans le domaine archéologique en présentant le rival d’Emek Shaveh, Elad. Les deux sont des associations archéologiques, mais le premier est résolument opposé à l’occupation, tandis que le second conteste le terme « occupation » lui-même, considérant qu’Israël ne peut occuper un territoire qui lui appartient de droit. L’archéologie est donc, selon Elad, une preuve de ce droit. Selon le représentant de l’association, certains noms de sites eux-mêmes peuvent induire en erreur ou véhiculer une représentation historique biaisée. Il donne l’exemple de la « Cité de David » à Jérusalem. Ce monument est un vestige qui témoigne des multiples cultures qui ont existé à Jérusalem. Il est donc malhonnête, selon lui, de mettre en avant presque exclusivement la mémoire juive qui y est attachée, en l’appelant Cité de David et personne d’autre.

Une tombe qui n’échappe pas à la règle

Nous comprenons donc mieux pourquoi le Tombeau des Rois a été au cœur des tensions. Son nom ne l’indique pas, mais ce tombeau est en fait celui d’une reine, convertie au judaïsme au premier siècle de notre ère. Pour certains juifs, il s’agit donc d’un lieu sacré pour le judaïsme, dans lequel les croyants devraient être libres de prier. En outre, c’est la tentative d’un groupe de juifs orthodoxes d’entrer dans le monument sans réserve qui a conduit aux incidents du 27 juin.

En outre, certains considèrent ce tombeau comme une preuve pour renforcer la légitimité de l’État juif, attestant lien ancien entre le territoire et le judaïsme. « J’encourage le public à visiter le site, qui revêt une importance importante pour le peuple juif et témoigne du lien profond et ancien entre le peuple juif et Jérusalem, sa capitale éternelle. » Israel Katz a déclaré quelques jours avant la réouverture prévue, comme indiqué dans The Times of Israel. Il s’avère que le tombeau est situé à Jérusalem-Est, qui est officiellement un territoire palestinien, bien qu’Israël revendique souvent Jérusalem comme sa capitale indivisible.

L’objet archéologique devient ainsi un objet politique et religieux. Pour cette raison, la France a accordé une attention particulière au tombeau. Depuis quelque temps déjà, des manifestations de juifs religieux ont lieu devant le site. Pour cette raison, les visites prévues ont été limitées : sur réservation, seuls de petits groupes d’une quinzaine de personnes ont été acceptés. Reconnaître ce lieu comme lieu saint du judaïsme pourrait être considéré comme une affirmation de la légitimité d’Israël. d’avoir annexé Jérusalem-Est, annexion que la France n’a pas reconnue. « Ce conflit autour du Tombeau des Rois est un mélange de sentiments religieux et d’intérêts politiques. L’intérêt des colons à avoir un meilleur accès à ce quartier palestinien. Il existe plusieurs justifications à la colonisation, mais l’une d’elles est précisément la présence de ces tombes avec des figures juives. C’est au cœur du conflit », explique Yonathan Mizrachi d’Emek Shaveh.

Possession française contestée

En raison de l’importance du lieu tant du point de vue religieux que politique, la décision de la France de fermer le tombeau est contestée. C’est toutefois son droit de propriété sur le site lui-même qui est remis en cause. Le site a été donné à la France par des banquiers, les Péreires, en 1886 ; les sarcophages qui s’y trouvaient sont, quant à eux, exposés au Louvre, à Paris. Certains considèrent que cet héritage n’est plus valable aujourd’hui.

« Imagine que tu es chrétien Jeaumont, que vous habitez à Paris (…). Imaginez encore une fois que vous êtes passionné par l’histoire, et particulièrement par l’histoire de la France. Vous avez appris que non loin de chez vous, se trouve un tombeau royal où des personnes qui, il y a deux mille ans, ont été enterrées ont marqué l’histoire de France. Vous décidez de vous y rendre pour visiter les lieux. Mais, à votre grande surprise, il est entouré d’un grand mur et d’un portail qui en empêche l’accès. Au-dessus, il flotte le drapeau de l’État d’Israël. (…) Ah, et j’ai oublié : les sarcophages ont été sortis de la tombe, malhonnêtement, ils ont été dissimulés leur appartenance à l’histoire de France afin de les envoyer dans un musée français. Intolérable, me direz-vous. » affirme ainsi Haïm Berkovits. Il ne s’agirait donc plus d’une question religieuse ou politique, mais d’une question de respect du patrimoine d’un territoire. Cette question n’est pas nouvelle. En 2006, par exemple, le droit de la France aux territoires avait déjà été remis en question : le Jerusalem Post a présenté une thèse de Dotan Goren sur le légalité de l’acquisition du lieu par la France.

Ainsi, aux questions relatives au patrimoine, les problèmes archéologiques en Israël sont greffés de questions spécifiques à un territoire appartenant à un État étranger. À ce qui peut être perçu comme une injustice s’ajoute le fait que la politique de la France à l’égard du Tombeau déplaisait aux Juifs et à Israël — ce qui explique peut-être le titre de Jewish.info cité dans l’introduction. Dans un territoire où la moindre trace du passé est disséquée, analysée et interprétée, le Tombeau des Rois ne fait pas exception.

Image : Siur_Wikipedia_in__Jerusalem, par Yoavd, domaine public CC-Zero.